Il est le designer attitré de la marque AMPM et de Poliform, marque internationale, entre autres. Mais, il est aussi directeur artistique, professeur, conférencier et animateur de workshops.
Rencontre avec un designer hors du commun qui conjugue brillamment humilité et talent ….. Pas de “moi je” chez lui, mais au contraire, l’esprit d’une équipe et une conscience profonde de la responsabilité de créer des meubles pour les gens, qu’ils soient clients ou fabricants, tout en préservant l’environnement.
Tout un programme.
Tout d'abord, comment êtes-vous arrivés dans le monde du design ? C’était une vocation de longue date ou est-ce arrivé par hasard ?
Depuis tout petit, j’aime dessiner, peindre, fabriquer des objets. J’avais un grand père italien qui était tailleur de vetements et qui vivait entouré de ses créations et dessins qui me fascinaient. Du coup après le lycée, j’ai intégré les Beaux Arts où j’ai pu me rendre compte que très rapidement, j’avais un intérêt particulier pour la création artistique. C’était lié à la fonctionnalité. Le design m’est alors apparu comme une discipline me convenant parfaitement car il allie l’art et la fonctionnalité. J’ai intégré ensuite l’Ecole Nationale des Arts Décoratifs de Limoges. Ce qui m’a beaucoup plu, c'est ce premier lien avec la production industrielle. Pour la plupart des pièces, on fabriquait des moules en plâtre pour ensuite avoir une production d’objets en série.
Pouvez vous nous en dire en dire plus sur vos racines ? Car sur votre site, on voit que vous êtes à la fois présent en France, à Bordeaux et en Italie à Milan ? Vos racines sont donc doubles ?
J’ai grandi dans le Périgord, qui est une région de terroir par excellence. Je pense qu’il est important dans nos métiers d'être bien ancré dans les traditions. Quand je crée un objet, je regarde beaucoup le passé, la tradition, les objets de certaines périodes historiques et j’essaie d’en réinterpréter les codes. Après les Beaux Arts, quand j’ai compris que je voulais faire du design, je suis rapidement parti à Milan. J’avais saisi très tôt que si je voulais faire du design à un certain niveau, il fallait que j’aille à Milan, la capitale mondiale du design. Je suis parti y finir mes études et j’ai ensuite pu intégrer des agences de design. C'est là que j’ai créé ma première agence.
J’y ai vécu pendant vingt ans et je partage encore aujourd’hui mon temps entre Bordeaux et Milan.
Du coup, il y a une véritable dualité de culture chez moi entre celle périgourdine et italienne. C’est un gros avantage car les italiens aiment beaucoup l’approche artistique “à la française” qui amène une certaine sensibilité et nous, comme designers, on profite largement du savoir faire très présent dans le nord de l’Italie, où le tissu industriel est très fort.
Justement, quelles sont les différences entre le design français et Italien ?
Il y a des différences flagrantes. Les italiens ont le design dans leur ADN peut-on dire, et ce, depuis 1945. C’est à la fin de la seconde guerre mondiale que des marques comme Flos, Artemide, Zanotta ont commencé à émerger. Ou même Piaggio qui comme beaucoup de marques italiennes, vient de l’industrie de l’armement. Piaggio fabriquaient des ailes d’avion. Ces artisans et ces designers ont su utiliser, réorienter et, transformer la technologie pour produire des objets qui sont encore mythiques aujourd’hui, comme la Vespa, par exemple.
En Italie, ils ont su garder un savoir-faire très présent depuis ce moment-là quand on France, nous l’avons perdu notamment dans l’ameublement. Il perdure encore dans le Luxe avec des marques comme Vuitton ou Hermes, mais sinon nos savoirs faire se sont beaucoup perdus sur tout le territoire français. Même si ces dernières années, on essaie de rattraper un peu notre retard, on constate un boom avec des petites marques émergentes ou également avec des personnalités comme Philippe Starck.
En France, nous sommes restés longtemps avec des intérieurs hérités de nos parents et grands-parents où la déco n’avait pas de place. C’est très récent cet intérêt alors qu’en Italie, cela a presque toujours existé.
Mais je trouve qu’il y a encore un décalage énorme entre l’Italie et la France. Notamment en matière de culture du design et de la déco., Les Italiens sont beaucoup plus cultivés, ils connaissent les marques, les designers. En France, on parle déjà à une élite quand on parle de certaines marques ou de certains designers. C’est là que se trouve la différence. Le design fait partie de la culture italienne. Les Italiens aiment les belles choses.
Pouvez vous nous décrire votre processus créatif et votre façon de travailler quand vous créez un nouvel objet ?
Il y a plusieurs cas de figure, soit c’est un brief de clients même si je préfère parler plutôt de partenaires et même d’amis car il y en a certains avec qui je travaille depuis près de dix ans. Il y a une grande confiance qui s’est établie entre nous au fil des ans.
C’est vrai qu'il y a d’un côté le designer et de l’autre la marque. Il faut pouvoir s’entendre parfaitement et quand la collaboration date de plus de dix ans, les liens sont très forts. Cela veut dire que l’on se comprend parfaitement.
En tant que créateur, je me mets vraiment au service de la marque, au service de son identité pour essayer de l’amener sur une vision des choses que l’on a en commun. C’est un vrai travail d’équipe. Comme avec AMPM par exemple avec qui je travaille depuis plus de dix ans. C’est vrai qu’il y a un un réel climat de confiance et on essaie de tirer la marque vers le haut en terme de qualité, d’innovation et de design. Pour cela, je me cale parfaitement à la vision du directeur artistique de la marque. Idem en Italie où je travaille avec Poliform. Soit ils ont des demandes particulières, soit la confiance créée avec la marque me permet de leur faire des propositions basées sur des intuitions ou des manques qu’on peut avoir ressenti. Je sais aussi ce que je peux leur apporter.
Après au niveau personnel, j’ai des réflexes, des approches où je vais travailler sur des formes fluides, rondes mais pas molles pour autant. “J’aime bien arrondir les angles” comme je dis souvent.
A quoi va servir la Déco selon vous ?
Comme je le disais, dans ma façon de travailler, Il y a une certaine douceur des formes car je cherche à amener dans l’habitat des objets qui vont créer un certain bien être. Les italiens ont cette culture du bien vivre plus que nous. Même si cela commence en France. Or, un meuble, un objet doit concourir au bien être et doit pouvoir s’intégrer dans tous les styles de vie.
En design, qu’est ce qui va être le plus important ?
J’essaie de retirer le superflu, pour garder l’essence de ce qu’on veut raconter. Travailler les détails pour donner du sens aux objets qu’on met sur le marché. Car il y a déjà beaucoup d’objets sur le marché, donc quand on va en ajouter un, on souhaite qu’il ait une raison forte d’exister.
L’autre direction également pour nous est de créer des produits “timeless”, qui ne vont pas faire appel à la mode ou aux tendances du moment., Ces produits vont avoir la force de perdurer dans le temps. Aujourd’hui, on parle énormément de développement durable. Cette approche ne va pas concerner uniquement les matériaux. Même si bien sûr, on travaille les matériaux recyclés et recyclables. Mais, nous avons vraiment envie d’offrir aux utilisateurs, aux clients qui achètent nos produits, des objets qui, dans dix ans, ne seront pas démodés. J’espère que ces objets auront une essentialité et une simplicité telle que les modes ne les rendront pas obsolètes. Cela passe aussi par des matériaux de grandes qualités, nobles et riches qui vont contribuer à la durabilité. Le fait de les travailler avec des formes qui ne sont pas trop envahissantes permettra de les rendre intemporel.
Quel est le meuble ou l’objet que vous préférez dessiner ?
J’ai une petite prédilection pour les chaises. Pour les designers, elles représentent toujours un challenge. C’est un exercice auquel je me prête volontiers car c’est ce qu’il y a de plus difficile. Cela fait appel à de nombreuses contraintes, d’ergonomie et de fonctionnalité. On dispose aussi aujourd’hui de beaucoup de nouvelles technologies et de matériaux innovants.
C’est un objet que j’ai plaisir à travailler. J’ai la chance de pouvoir dessiner tout et n’importe quoi. Il y a toujours quelque chose à découvrir sur de nouvelles typologies. Ce qui me rend toujours très enthousiaste.
Par exemple, même si je suis spécialisé dans l’habitat, je suis de plus en plus amené à travailler avec le développement du flex office et sur les nouveaux modes d’organisation des bureaux. Ces nouveaux modes de vie vont donc nécessiter de nouveaux objets, adaptés à ces nouvelles modularités.
On amène notre savoir-faire de l’habitat dans l’univers du bureau avec des objets de typologies différentes.
Votre produit le Pegboard s’inscrit dans cet univers et en est un parfait exemple. C’est un objet innovant, à la frontière entre l'habitat et le bureau, qui peut voyager d’un univers à l’autre.
Des personnes qui vous inspirent ?
Ce sont plus des périodes historiques qui m’inspirent plutôt que des personnes à proprement parler. Les années trente et quarante, en premier lieu car elles marquent un véritable tournant.. C’est une période charnière où l’on a troqué une déco très riche pour des intérieurs épurés et minimalistes. Tout en conservant une certaine qualité des matériaux. On peut citer Pierre Chareau et Jean Michel Franck. Ainsi que le mouvement moderne de Le Corbusier. Ce que j’apprécie c’est qu’ils ont su partir vers quelque chose de minimaliste tout en gardant la richesse de certains matériaux. Je suis très attentif à cette période dont je m’inspire beaucoup.
Les années soixante également, que ce soit en Italie, aux Etats Unis ou en Scandinavie, sont un moment d’innovations très fort pour le mobilier. J’ai une attention particulière pour des personnes comme Gio Ponti en Italie, comme Hans Wegner pour les Pays scandinaves et le couple américain Eames. Je suis beaucoup moins les tendances actuelles qui me parasitent un peu trop. Je préfère étudier et approfondir des livres parlant de ces périodes. Je lis en ce moment le livre de Laure Adler sur Charlotte Perriand. J’ai eu la chance de la rencontrer. C’est une personne que j’apprécie beaucoup et j’adore les pièces qu’elle a pu réaliser au cours de sa carrière. Jean Prouvé aussi. On a d’ailleurs commencé une collection en référence à cet univers. Encore une fois dans l’optique d’amener du bien être, des formes douces, des matières naturelles et chaleureuses.
C’est plutôt dans le passé qu’on puisse nos inspirations. L’idée n’étant pas du tout de copier mais bien de comprendre ce qui rend ces objets aussi intéressants, aussi profonds, aussi intemporels. Ça nourrit vraiment mon inspiration et ma création. Même si je regarde quand même ce que font les jeunes designers.
Mais, je ne vous cache pas que des gens comme Gio Ponti, Jean Prouvé , Charlotte Perriand, je ne me lasse pas de regarder ce qu’ils ont fait et pourquoi ils l’ont fait !
Vous cumulez différentes casquettes. Vous n'êtes pas seulement désigner, mais également directeur artistique, professeur, conférencier… Quelle est la mission que vous préférez ?
Mon moment privilégié, c’est le matin quand je fais des petits croquis, que je donne vie à mes réflexions et à mes idées. En général, c’est le moment quand j’arrive au bureau et qu’il n’y a encore personne. Je me perds dans mes pensées et c’est très relaxant. C’est un de mes moments préférés !
Mais quand je fais des conférences, donne des interviews ou anime des workshops, je peux parler de ma passion et j’adore ça, pouvoir échanger. C’est quelque chose qui donne beaucoup de satisfaction ; l’échange.
La direction artistique permet de passer du mode “étudiant” qui ne se soucie que de son art à une compréhension beaucoup plus globale de tous les facteurs, de toutes les contraintes, de tous les acteurs du métier qui rentrent en ligne de compte dans le processus créatif. On est une sorte de chef d’orchestre et c’est très intéressant de travailler avec des ingénieurs, des personnes du marketing, de la communication. C’est presque un autre métier mais c’est aussi très enrichissant. Il faut s'élever beaucoup plus et voir le projet de façon globale.
Je pense réellement que pour être un bon designer il faut pouvoir intégrer toutes ces contraintes de marché. La moindre chaise ne sera pas qu’une chaise mais elle va représenter une marque. Le produit sera destiné à un certain marché, à certains pays. Une chaise deviendra aussi l'œuvre des personnes qui travaillent pour l’entreprise et par respect pour ces équipes, nous n’avons pas le droit à l’erreur. Le produit dessiné va contribuer à l’aura de la marque, parfois même à sa survie. On a une grande responsabilité vis-à-vis de toute cette chaîne.
Vous avez reçu 14 prix rien que ça ! C’est un beau palmarès, qu’est ce que cela représente pour vous ? C’est important ou tout à fait relatif ?
Certes on est content quand on a un prix qui tombe mais ce n'est pas vraiment ce que je recherche. Ce n’est pas très important pour moi. C’est plus la relation humaine que j’entretiens avec mes partenaires devenus au fil du temps des amis qui va être primordiale. Cela me donne beaucoup plus de satisfaction de savoir que mes partenaires ont un succès, qu’un nouveau showroom s’ouvre en Chine.
Quelles sont les tendances actuelles ?
Les tendances je peux vous les donner. Par contre, nous allons à l'inverse. Notre rôle étant justement de ne pas les suivre mais bien de les créer. Celles qu’on ne suit pas, par exemple ; le cannage, les rondeurs extrêmes dans les canapés, des systèmes de modules dans les canapés, la bouclette.
Notre rôle en tant que designer, c’est vraiment d’amener de la nouveauté. Quand il y a une tendance, on essaie d’aller à l’opposé.
Sinon, j’aime le tressage naturel que l’on travaille depuis très longtemps et je travaille actuellement sur d’anciens velours de très bonne qualité.
J’ai vu sur votre site que vous teniez des conférences un peu partout dans le monde. Y a t-il des tendances différentes qui se dessinent selon que vous êtes au Brésil ou en Chine ?
On peut dire qu’avec la marque Poliform, mondialement connue et distribuée un peu partout, on ne doit pas se tromper car nous devons offrir des produits qui vont pouvoir plaire au plus grand nombre en Chine comme au Brésil. Je dois avouer qu’on assiste à une certaine homogénéisation des styles au niveau mondial. Chez Polyform par exemple, le style se veut intemporel, élégant et non ostentatoire. On constate que cela plait beaucoup et que cela répond à une forte demande notamment des chinois qui depuis dix ans ont beaucoup évolué en matière de goûts et tendent de plus en plus vers ce minimalisme contemporain épuré. Ils cherchent une élégance simple. Ce sont des produits qui ont un sens avec un niveau culturel assez fort. Je trouve bien que la Chine s'intéresse à ça, elle montre qu’elle évolue beaucoup et très vite.
Est-ce que vous avez un coup de cœur pour un objet d’un designer célèbre ???
Plus que les objets, je regarde plutôt les marques. Si, il y a un créateur Christian Liegre et en l'occurrence ce sont ses matières qui m’ont séduites. Il réussit vraiment à amener une dimension subtile en retravaillant les matériaux.
Vos derniers coups de cœur musicaux ?
J’ai pris plaisir à réécouter dernièrement les Daft Punk et j’essaie de convertir mes enfants à un rap plus poétique que ce qu’ils écoutent en ce moment; comme celui de MC Solar. Sinon, la musique classique m'apaise beaucoup. Mais quand je dessine, c’est plutôt dans le silence.
En cuisine, avez-vous un plat préféré ? Et sera t-il italien ou français ?
Italien bien sûr ! Le Risotto et les pâtes et comme en Design, ce sont des plats extrêmement simples mais pour lesquels la qualité des ingrédients va être déterminante.
Un site internet à partager même si vous devez avoir peu de temps pour surfer ?
J’aime beaucoup un site géré je crois par la Nasa mais dont j’ai oublié le nom qui propose des photos de l’Espace ou de la Lune et j’avoue que cela me fascine, c’est magique.
Une devise à partager ????
“La simplicité comme une complexité résolue” Constantin Brancusi
Crédits Photos Emmanuel Gallina Design Office
Propos recueillis par Edith SELLIER PASCAL