Quark est parti à la rencontre de l'une des cofondatrices de l'entreprise HOUBLY. L'objectif de Manon Baste et d'Auriane Lefebvre est de créer des matériaux innovants. En effet elles se sont associées avec un objectif environnemental commun : réduire nos déchets avec des matériaux biosourcés et issus de l'économie circulaire. Nous sommes encore une fois face à du Made In France !
Peux-tu te présenter ?
Je m’appelle Auriane Lefebvre, j’ai 29 ans et avec Manon on a fondé HOUBLY. Mais avant ça j’ai eu une autre vie car j’ai eu un diplôme en école de commerce en stratégie et marketing. Ensuite, j’ai travaillé pendant plus de trois ans en tant que consultante de transformation numérique des entreprises.
Même si j’ai beaucoup appris dans ce métier, ce n’était pas quelque chose qui me correspondait. C’était très éloigné de mes combats et de mes engagements personnels. Et j’ai voulu travailler sur des sujets qui me motivent vraiment et qui sont cruciaux pour l’avenir de la société avec des matériaux biosourcés.
A-t-il eu un élément déclencheur à cette vie d'entrepreneuse de matériaux biosourcés ?
C’est venu progressivement. J’ai commencé dans ma vie personnelle, dans mon studio d'étudiante à me dire “ma poubelle elle prend plus de place que n’importe quoi d’autre dans ma cuisine”. Je me suis rendu compte que ce n'était pas normal. Je me suis donc posé des questions sur ce que je pouvais faire pour réduire la quantité de déchets.
Ensuite je me suis intéressé au zéro déchet, en commençant par la salle de bains. Puis je l’ai fait pour ma cuisine. Après, j’ai commencé à changer d’alimentation.
J’ai fait petit à petit des actions. Puis lorsque je validais des étapes je voulais en faire toujours plus.
Dans ma vie personnelle je m’investis dans une association qui organise des événements en faveur des transitions de la société et environnementales. Je me suis rendu compte que je devais me lancer là-dedans, parce que je me sentais motivé par ces sujets. En plus, mon engagement personnel et associatif n’était plus suffisant. Je voulais donc rejoindre une entreprise qui correspondait à mes valeurs. Ou en créer une à mon image.
La rencontre avec Manon et les matériaux biosourcés
C’est ma rencontre avec Manon qui a tout fait basculer. J’étais formé à ces sujets-là (développement durable, économie circulaire, écoconception). Je regardais des entreprises qui pouvaient correspondre à mes valeurs et qui prenaient en compte les sujets environnementaux et sociétaux. Je cherchais quel rôle je pouvais avoir, quelles compétences je pouvais apporter auprès d’elles. Puis lors de ces recherches je suis tombée sur Manon.
Elle avait posté un petit message en disant qu’elle avait une idée de matériaux biosourcés et qu'elle ne savait pas comment la développer. Donc elle cherchait quelqu’un pour potentiellement s’associer.
On a eu les mêmes réflexions, un déchet qui vient de la nature n'est pas un déchet.
Donc c’était une évidence quand elle m’a parlé de son idée de réutiliser les déchets naturels afin de créer de la matière première grâce à des matériaux biosourcés. On s’est expliqué chacune nos points de vue sur le projet, et on avait une vision à long terme commune. En plus on avait les mêmes grandes étapes pour arriver à ce terme. On s’entend bien, on a la même vision du projet, on analyse le même problème et un même constat. Donc la collaboration devrait bien fonctionner. Alors, on a collaboré de janvier à août. On matchait même si nous étions différentes. Cela permet de se compléter sur pas mal de choses. Alors en septembre on a créé la société.
Où en êtes-vous dans vos projets de matériaux bioscourcés ?
Notre projet a beaucoup évolué depuis qu’on a commencé. Au tout début, le projet était d’utiliser les déchets de la bière brassée en festival. Cela servait à faire du mobilier compostable à la durée de vie très courte. Alors, on a réfléchi à cette idée, on s’est dit que ça prenait de l'énergie. Même si elles sont naturelles, low-tech mais à court terme. Donc ce n’était pas une bonne solution de valorisation à long terme. Alors, on a réfléchi à l’ensemble du projet.
Notre objectif quand on a commencé à travailler ensemble était de faire des matériaux biosourcés à partir de ces biodéchets. On utilise les qualités intrinsèques de ces déchets, mais aussi leur rendu visuel. On voulait des matériaux low-tech, naturels, biosourcé et visuellement intéressants. C’est une innovation toujours en cours. Car en réalité ça aurait pu être très simple en mélangeant nos biodéchets avec de la colle à bois ou autre. Ça fonctionne. Mais la démarche environnementale n’est pas assez poussée. On veut aller plus loin et jusqu’au bout. On ne veut pas prendre cette solution de simplicité. Donc on a investi en R&D. On a réfléchi sur comment on pouvait remplacer cette colle. Surtout que depuis le début on réfléchit à la fin de vie du produit. Le premier constat était le nombre de déchets qui n’ont pas d’autre vie après être arrivés à la déchèterie. Ils sont soit enfouis, soit incinérés. Et on ne voulait pas contribuer à ça. C’est pour ça que ça prend du temps et que c’est encore en cours.
La R&D
En revanche, on a fait le maximum en termes de R&D, donc on s’entoure d’experts en biochimie, en agromatériaux… On s’est associé avec un laboratoire pour faire les recherches et on a recruté notre premier stagiaire. Ça nous a enlevé plusieurs responsabilités quotidiennes. Au vu du temps que la recherche va prendre, et la motivation qu’on avait, on s’est dit qu'on ne devait pas perdre ce temps qu’on déléguait. Alors on a cherché dans quoi on pouvait s’investir. Donc on s’est demandé s'il n’y avait pas d’autres hypothèses qu’on pouvait tester dans notre sous-sol. Vu que nous n’avons pas de machines, les recherches ont été très low-tech et artisanales. Mais aujourd’hui on a développé un procédé de matériaux biosourcés qui semble bien fonctionner. Actuellement on fait des tests au feu par exemple. On prend le produit, un chalumeau et on regarde si ça brûle. Car, oui, il faut bien commencer quelque part.
C’est important d’avoir une idée des caractéristiques de nos matériaux biosourcés avant de commencer à les commercialiser et afin de répondre aux questions des clients. Car on sait très bien quelles questions vont avoir les gens en voyant ce produit : est-ce que ça résiste à l’humidité, au feu ? Tout cela commence à prendre fin et on va pouvoir commencer à commercialiser des petits objets sourcés à partir de biodéchets, très artisanaux et low-tech.
Quelles sont vos fonctions dans l’entreprise ?
On a créé une SAS donc il fallait obligatoirement une présidente et une directrice générale. Donc il s’agit des rôles qu’on a dans les statuts. Dans la réalité, Manon a un diplôme de designer et est formée à l’écoconception. Moi j’ai un diplôme en stratégie marketing. Alors on s’est réparti les tâches. Manon s’occupe de tout ce qui touche à la production. Moi je m’occupe plutôt du développement et du marketing.
Globalement on touche à tout. Mais on a chacun nos domaines d'appétences issues de nos expériences et de nos études. Ce serait une perte de temps d’être à deux tout le temps, donc on se répartit tout de même les tâches en restant informées des deux côtés.
Ta journée type ?
En général je commence très tôt et je termine très tard! Mais je commence toujours par les mails, je prends des nouvelles de nos partenaires et de notre stagiaire. Je tiens aussi au courant toutes les personnes qui (depuis plus d’un an) nous soutiennent. Cela peut devenir des prospects, donc c’est important de prendre leur retour et commentaires. Il faut être sûr d’aller dans la bonne direction.
Puis on fait beaucoup d’efforts pour réussir à se faire connaître, faire en sorte de gagner en légitimité. On aimerait qu’Houbly soit crédible et légitime dans ces enjeux environnementaux avec nos matériaux biosourcés.
Ensuite, comme tout jeune créateur d’entreprise, il y a beaucoup de tests et d’expérimentations de production. C’est pour moi un côté fun. Puis il y a le côté primordial sur la réflexion du modèle économique, de la stratégie, du développement produit, commercial, marketing et communication. Tout cela change régulièrement.
Le business plan des nouveaux matériaux
Du coup, il y a la construction de ce fameux business plan. Il prend beaucoup de temps dans la vie de tout jeune entrepreneur. Non seulement il est important pour nous, pour savoir dans quel sens aller. Mais aussi parce qu’à un moment donné il va falloir aller chercher des fonds. Car jusqu’à maintenant on est autofinancé. Mais lorsqu’on aura notre concept et qu’il faudra réellement se lancer, il nous faudra un prêt bancaire ou d’autres subventions et aides nécessaires. On aimerait aussi beaucoup travailler avec l’ADEME. Ça nous anime au quotidien avec Manon. Sans oublier la partie de nos journées où on prête attention à tout ce qui se passe autour de nous. Car aujourd’hui on est une entreprise innovante, on doit être à l'affût de toutes les avancées. N’oublions pas que notre produit rêvé d’après notre cahier des charges, n’existe pas encore. Donc il faut constamment vérifier qu’on ne part pas vers une fausse bonne idée.
Qu’est-ce qui te fait rêver avec ces matériaux innovants ?
Un monde qui tourne rond. Comme en économie circulaire. Qu’on se dise qu’on voit les choses de manière beaucoup plus large, globale. Qu’on prenne tout notre écosystème en compte et qu’on réfléchisse à devenir le plus vert possible. Il faut que tout le monde travaille ensemble : collectivités, personnes morales ou encore physiques.
On doit tous réfléchir à notre impact et penser à faire une transition.
As-tu des comptes Instagram favoris ?
@pourunréveilécologique
C’est parti d’une association étudiante, qui a voulu créer un mouvement en voyant que les enjeux environnementaux n’étaient pas bien pris en compte. Ils ont donc voulu se former là-dessus, sensibiliser les autres et faire un travail de qualité (parfois bien meilleur que certains professionnels). Cette association sensibilise bien et informe beaucoup. Encore aujourd’hui grâce à eux j'apprends des choses. On ne peut que les féliciter, puisqu’ils ont été affichés dans le métro parisien récemment. Il s’agit d’une consécration ultime car c’est une reconnaissance de leur travail. En plus de ça, ils se sont donné pour mission de balancer toutes les entreprises qui faisaient du greenwashing. Ils le font très intelligemment avec des formules polies, cadrées et beaucoup de preuves. Cela permet aussi de se remettre en question. Mettre les choses en perspective. Ils expliquent pourquoi il faut aller plus loin. Ils nous donnent toutes les clés pour qu’on puisse réfléchir par nous-même sur différents sujets.
@materiae_co
C’est une personne qui met en avant différents matériaux. Ils peuvent être nouveaux, innovants ou originaux. Certains viennent seulement d’arriver sur le marché. Il s’agit de belles photos. Ce sont de belles mises en lumières de certains matériaux. Ça permet de montrer que les choses bougent un peu. Mais est-ce que c’est parce que c’est notre domaine et qu’on est un peu dans notre bulle qu’on a l’impression que les choses bougent ? Peut-être. Mais en tout cas, j'apprécie l’esthétique de son compte Instagram.
Quelles sont les valeurs que tu veux partager avec ton entreprise ?
On a choisi trois valeurs avec Manon. C’était difficile d’en choisir seulement trois. En tout cas celles qu’Houbly porte sont :
- L’innovation : car on veut faire preuve de créativité en allant jusqu’à l’innovation. Ne jamais se reposer sur ses lauriers. On doit tous travailler pour arriver au résultat final attendu. De plus, l'innovation est pour nous une manière de répondre à un problème de manière vertueuse.
- La communauté : Il ne faut pas travailler tout seul dans son coin, on ira plus loin tous ensemble. Ça prendra peut-être plus de temps mais je suis persuadée qu’on ira plus loin.
- Bienveillance : parfois on est conscient de ses erreurs. Mais il ne faut pas perdre son temps à jeter la pierre sur quelqu’un. Il faut qu’on s’entraide car on a tous nos limites et nos contraintes. Il faut qu’on se tire vers le haut.
Ces trois valeurs sont indispensables pour réussir une transition écologique sur le long terme. C’est celles qui nous correspondent personnellement, et on est contente qu’Houbly les porte aussi.
Quelles sont les étapes de l’écoconception ?
Pour faire simple, l’écoconception c’est réfléchir à chaque étape de la vie d’un produit. Comment réduire son impact environnemental. Ça part du produit mais aujourd’hui on va beaucoup plus loin que ça. C’est une réflexion qui n’est pas figée dans le temps. Cela va bouger en fonction de nos connaissances. C’est très important d’avoir cette idée dès la phase d’idéation.
D’ici 5 ans, où vois-tu Houbly ?
On y pense souvent avec Manon. Houbly aimerait avoir trouvé des solutions de valorisation pertinentes avec au moins trois types de biodéchets. L'objectif est une des trois solutions :
- Ouvrir notre usine;
- En reprendre une;
- Ouvrir une co-usine;
On aimerait beaucoup être responsables de notre propre site de production. Manon et moi on a plein d’idées sur ce qu’on pourrait mettre en place dans notre usine pour réduire notre impact environnemental. Puis on s’est aussi donné une finalité sociale positive. On n’a pas encore défini la méthode. Mais on voudrait créer des emplois de qualité.
Est-ce que le wasterial te parle ?
Le wasterial c’est le matériau créé par une entreprise basée à Lille nommée EtNISI. Ils utilisent les déchets issus de la déconstruction dans le milieu du BTP. C’est génial car c’est le secteur qui génère le plus de déchets. Il y a un travail sur la matière qui est très intéressant.
En revanche, on est différent car on a vraiment l’objectif de rester sur des produits biosourcé et de réfléchir à la fin de vie de nos produits. Donc ce n’est pas le même projet qu’EtNISI mais c’est un des acteurs qu’on admire beaucoup. Aujourd’hui ce qu’ils font est impactant.